Javascript est désactivé dans votre navigateur. Javascript doit être activé dans votre navigateur pour utiliser toutes les fonctionnalités de ce site.
Raffinez votre recherche
La gravure en tant que rituel sériel
Enk De Kramer a contribué d’une façon très importante à la gravure en Flandre - même au Japon on s'intéresse à son œuvre.
Les graveurs ne sont pas les plus honorés dans le monde artistique actuel. Depuis longtemps De Kramer a rompu avec le principe de base fonctionnel de la gravure, c'est-à-dire que ce serait une méthode de reproduction, ayant comme résultat une “empreinte”, (une image). Le terme “empreinte” est d’ailleurs d’origine du mot de l’ancien français “preinte” ayant comme signification “état d’être imprimé”. Mais aussitôt le mot “empreinte” acquiert une connotation négative, lié à cette tentative fondamentale de multiplication. Tantôt dans le sens naïf (échange d’images), tantôt dans le sens vieillot de l’antiquaille (le cabinet des estampes), quelquefois même dans le sens plus frivole (la “féminathèque” de Louis Paul Boon.).
Walter Benjamin a exprimé cette problématique dans un traité philosophique intitulé: “Het Kunstwerk in het Tijdperk van Technische Reproduceerbaarheid” (‘L'œuvre d'art à l'Époque de la Reproductibilité Technique’). Il prétend dans ce traité que la valeur unique de l'œuvre d'art authentique trouve son fondement dans le rituel, dans lequel cette œuvre avait sa première valeur ainsi que sa valeur d’usage originaire. Ce rituel, faisant d'abord partie d'un culte magique, ensuite d'un culte religieux, survit toutefois comme un rituel sécularisé au sein des formes les plus profanes du culte de la beauté de l'art contemporain. Benjamin craint - injustement en ce qui me concerne - que la reproductibilité de l'œuvre d'art fera disparaître son aura, liée à son unicité.
Comme nous l’avons dit avant, Enk De Kramer a développé une conception différente de la gravure. Il y a remis en honneur le rituel. En effet, De Kramer a renoncé à la gravure comme contribution aux arts graphiques. En échange avec ses gravures, il a collaboré à la profonde réflexion sur la forme des choses et ses implications. Dès son début, il gardait le nombre d’empreintes très restreint. Cinq exemplaires ou au plus dix étaient la règle. Un tirage supplémentaire était tabou. En plus il appliquait des variations de couleurs de sorte que chaque empreinte était toutefois différente.
A partir de 1983, sa période figurative disparaît à vue d'œil en même temps que le titre, qui devient dorénavant "sans titre". Après les thématiques du pop'art pleines d'ironie, après la femme comme décoration exubérante et après les mangeries, apparaît un corps féminin où la voluminosité sculpturale devient importante, ainsi que les états vestimentaires où la texture picturale du textile attire toute l'attention. Les couleurs disparaissent et deviennent des nuances du gris. Le noir s'avère multiple. Ainsi apparaissent soixante-dix fragments de femmes, résultant d'un jeu de combinaisons de planches. Le numérotage devient 1 sur 1, donc tous des "originaux". Finie la reproductibilité. La femme disparaît en tant que thématique. Au début il reste des traces d'éléments de base textiles. Mais aussitôt les vêtements en tant que signes sont remplacés par des signes faisant des supports de signification fécondables. Pas de signaux clairs, mais des expérimentations sur ce que cela signifie d'être "forme" et "couleur", en d'autres mots sur le système de l’art en soi. Comme une figure a besoin d'une forme pour engendrer un sens, une forme peut également donner un sens à des figures informelles, ce qui fait naître un jeu infini de connotations.
Depuis longtemps De Kramer ne nous montre plus ses figures énergiques, mais il crée pour nous des cosmos abstraits où il fait bon rester: des abat-voix de couleurs pour les humeurs; des paysages affectifs pour les états d'âme; des raisonnements, certes, mais à travers des labyrinthes ou aux greniers et dans les caves de notre être inconscient. Récemment (voir illustrations) il est de nouveau question de quelque imagerie figurative. Le motif du bateau est le point de départ du voyage pictural (en effet De Kramer "peint" avec des planches). Mais ne vous attendez pas à une marine. Ça ressemble plutôt à des ombres tout de travers d'un bateau imaginaire, le bateau de la vie et de la mort.
Du point de vue technique - pas en ce qui concerne la gravure, puisque la compétence dans ce domaine est incontestable - ce procédé signifie pour De Kramer une recherche pas à pas de sa propre force créatrice. Chaque empreinte unique fait partie d'un raisonnement plastique autour d'un motif. Ce n'est que quand toutes les possibilités - propres à la métonymie De Kramer - sont épuisées qu'il entame l’exploitation d’un nouveau motif. L'ensemble d'une telle expérience forme une série, des variations sur un thème de la forme. C’est dans ce sens qu’Enk De Kramer adhère complètement à une pensée contemporaine de sérialité, qui s'oppose à l'ancienne conviction que la nature des choses existe effectivement. La reprise variée d’une pareille chose fait naître une chose différente. Ici, la gravure offre une possibilité picturale sans égale, puisque la planche en soi permet des reprises ainsi que des variations bien contrôlées, rendant possible ce que l’on pourrait appeler les différents "états".
L'inquiétude de Benjamin est dépassée maintenant que De Kramer a remplacé la “reproductibilité” de la gravure par la “possibilité de la reprendre”, de la refaire. Ses gravures sont des rituels de la sérialité dans le culte d'une beauté hors du commun: elles sont toutes aura, tel que Benjamin le voulait.
Willem Elias
Expositions individuelles
Expositions collectives
Dans l'atelier de l'artiste Enk de Kramer
Un film de Julien Vandevelde | copyright Cavalier Seul
This website requires cookies to provide all of its features. For more information on what data is contained in the cookies, please see our Privacy Policy page. To accept cookies from this site, please click the Allow button below.